Le normalien de CAZA par le journal "LIBERTE"

Publié le par enibouzarea

Article paru dans le journal "Liberté" du Samedi 10 Juillet 2010

MÉDÉA

QUI SE SOUVIENT DE L’HOMME À LA PIPE ?

Après toute une vie consacrée à la transmission du savoir en tant qu’instituteur puis en tant qu’inspecteur, l’homme à la pipe, comme le surnommait ses amis, ne se doutait pas qu’un jour il allait subir le sort implacable des agissements ingrats de ceux qui n'éprouvent plus de révérence à l'endroit de ceux qui les ont formés et aux aînés. Humblement, nous considérons qu'il est du devoir de l'élève d'exprimer sa reconnaissance au maître qui a éclairé la voie de dizaines de générations d'écoliers et participé à la construction des carrières de plusieurs d'entre eux. Il faut avouer qu’il n’est pas toujours aisé de parler d’une personne dont le parcours est un exemple de courage et d’intégrité dans toutes les situations, même les plus ardues, se mettant, sans se lasser, à l’instar des justes, du côte de la vérité, mettant pour cela toute l’énergie nécessaire pour sa défense. L’homme, qui est évoqué à titre posthume, est feu Abrous Saïd-Chérif, mort il y a quelques semaines, entouré de ses enfants et proches, dans l’appartement de l’un de ses enfants, au moment où les membres de sa famille étaient réunis pour partager le couscous du vendredi. Sollicitée pour les besoins de l’article, sa veuve, qui est aussi la mère de plusieurs générations d’enfants de la région, pour avoir été sage-femme à l’hôpital de Médéa, donnera avec force détails les traits de caractère de son feu mari. Dans le foisonnement de ses souvenirs, elle remontera aux conditions de leur rencontre, au Maroc, à leur participation à la lutte pour l’indépendance de l’Algérie et à l’édification du pays. Le baccalauréat obtenu en 1950 après des études au lycée Descartes, à Oujda, le fringant jeune homme Abrous opta pour le noble métier d’instituteur à l’issue d’une formation à l’école normale de Casablanca. Il est enseignant à Rabat, promu inspecteur trois années plus tard, il convola en justes noces avec une femme qui était infirmière et ne tarda pas à prendre part à la Révolution par l’acheminement des armes et des médicaments vers les maquis. Militant de la cause nationale dès les premières heures du déclenchement de la Révolution, il agira sous la houlette de Abdelmadjid Méziane et exercera les missions de secrétaire de Kasma à Rabat sous le code “30”. Aidé par son épouse qui lui procurait les médicaments, il tissera des relais dans la bande frontalière, malgré les menaces qui pesaient sur lui et sur les siens en Algérie. À l'indépendance, il rentre en Algérie et s’établit en famille à Sour El-Ghozlane et quelques années plus tard, à Médéa, où il est nommé inspecteur primaire et, enfin, sous-directeur à la direction de l’éducation jusqu’à son départ à la retraite. Connu pour sa droiture, il aimait aussi plaisanter de certaines situations où il excellait dans l’art de la répartie et ne s’empêchait pas de commenter l’actualité ou d’exprimer sa colère à l’endroit de tout ce qui porte atteinte aux principes de justice et à l’honneur du pays. Il trouvait le mot qu’il faut pour décrire une situation politique ou autre, et savait aussi manier le verbe pour les besoins de la polémique ou encore pour défendre des idées ou des positions. Très affaibli après avoir fait un infarctus du myocarde, l’homme ne pouvait s’attendre à subir un traitement humiliant de la part de ceux qui étaient un temps ses élèves et à être mis dehors, manu militari, du logement de fonction qu’il occupait. Suppliant les autorités de lui accorder un répit de quelques semaines pour aller ailleurs, il eut pour réponse une décision d’évacuation qui le chagrina pendant quelques jours, lui causant un épuisement fatal. Son épouse, qui est restée digne en dépit de l’adversité, évoque la mémoire de son époux avec le respect qui se doit en relatant certains souvenirs d’une union qui a engendré une descendance nombreuse formée de garçons et de filles, tous imbus de la morale du père. D’ailleurs, ce dernier leur a laissé une bibliothèque en héritage et une pipe gardée comme objet fétiche qui rappelle l’image d’un père qui a toujours refusé que les principes soient négociés comme s'il s'agissait d'une marchandise.

Par M. EL BEY

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